Un tas de bottes envahissent le paillasson. Comme à l’accoutumée inutile de frapper, il suffit d’entrer. À la cuisine, derrière le fourneau à bois, je rencontre Lucienne Vouillot, 79 ans qui a passé sa vie «à tenir ce commerce» comme elle le dit si bien, mais surtout à recevoir les gens…
Arrivée un matin à l’improviste, j’ai tendu le micro de Villages FM!
Lulu : Avant de commencer, asseyez-vous, vous allez bien prendre un café !
Villages FM: Lulu, racontez-nous votre histoire ?
Lulu : Je suis née en 1934 dans la maison d’en face. Nous étions paysans, mon papa est mort, je n’avais pas douze ans. Ma maman a repris la ferme avec mes frères et soeurs. J’étais la dernière de six alors j’ai été bien gâtée par tous. J’me suis mariée en 1958 et j’ai emménagé ici avec ma belle-mère qui tenait ce café, on vivait tous ensemble ! Je me suis mise à cuisiner, j’aimais pas trop au début, je n’étais pas habituée faut dire, puis au fil des années je m’y suis faite.
Oh, voilà l’boucher, faut qu’j’aille (… )
Voilà mes commissions sont faites pour la s’maine… qu’est ce qu’on disait ?
Villages FM: Comment se passe votre quotidien?
Lulu : Aujourd’hui c’est un peu différent mais avant je me levais et j’allais traire avec mon mari, après je nettoyais les bidons à lait, les bouilles. J’ soignais les poules, les lapins et je rentrais pour le petit déjeuner. Après je préparais le repas du midi, on mangeait et je f’sais la vaisselle. L’après-midi, il y avait toujours à faire : le jardin, le linge, raccommoder. À 17h, on r’prenait le café et après on partait à l’écurie et enfin faire le souper du soir… Pis quand y avait du monde au restaurant ben je préparais les repas.
Villages FM: Vous avez toujours des idées pour cuisiner ?
Lulu : Il faut bien… Bon j’fais toujours une soupe, exceptionnellement pas ces jours-ci, vu qu’il fait chaud, j’la remplace par des oeufs durs, des tomates et des fois des carottes rappées. Aujourd’hui j’ai fait un gratin de courgettes mais j’aime pas trop ça, on n’a jamais été habitué, dans le temps on n’en avait pas. J’aime mieux un gratin de pommes de terre ou de pâtes. (…)
Villages FM: Quelle est votre spécialité ?
Lulu : Point, je n’en ai point. Je fais de la cuisine de tous les jours ! Je fais des gamelles de patates à la casserole. Si faut faire un civet de lapin, une croûte aux morilles ou une tête de veau, jv’eux bien le faire. Je fais du courant, je n’ai pas de spécialité mais j’aime bien la soupe parce que je trouve qu’il en faut ! Alors j’en fais tous les jours. Pis j’vais vous dire, la soupe, il suffit d’mettre de la crème dedans pis c’est forcément bon!
Enfin donc, je fais toujours pareil : une entrée, une viande, des légumes, du fromage et le dessert qui ne change jamais fruits ou glace au choix et le café. Mais vous savez aujourd’hui c’est plus comme dans l’temps, j’ fais plus que quelques couverts pour les ouvriers et les habitués, c’est tout.
Le restaurant de Longeville a traversé le siècle en recevant toujours du monde, aujourd’hui encore enfants, petits-enfants, commerçants de passage, fidèles habitués tous on plaisir à s’asseoir autour de cette même table familiale et partager les bons plats cuisinés de «La Lulu» qui respirent le terroir franc-comtois.
L’évolution actuelle de notre société fait disparaître petit à petit cette vie d’antan, ce quotidien en milieu rural, qui a marqué les générations. Même si le travail difficile de toute une vie a marqué ce personnage plein d’humilité, «La Lulu» est aujourd’hui encore derrière ses fourneaux, la démarche assurée remplie d’énergie et rien ne change, elle aime toujours recevoir «son monde» et discuter avec les gens…
… La porte s’ouvre à nouveau, je laisse ma place au suivant. Un regard, un sourire, tout est dit, «La Lulu» m’adresse un «Vous r’passerez, hein, en attendant merci !» en guise d’au revoir.
Sophie GARNIER



