À 92 ans, Robert Mille continue de travailler, aidant à son rythme, son fils et son petit-fils agriculteurs. Je le croise à Amondans, alors qu’il vient tout juste de finir d’andainer un champ avec son éternel tracteur Renault.
Nous prenons le temps d’échanger dans un coin du champ comme faisaient autrefois les agriculteurs entre eux et il me raconte l’agriculture de sa jeunesse, une époque révolue, mais riche en valeurs et traditions.
Je ne peux m’empêcher de lui demander pourquoi il continue de travailler à son âge avancé. « J’aime aller… », répond Robert avec un large sourire et un regard malicieux. « Ce que je fais, c’est toujours ce qu’ils auront de moins à faire », me dit-il avec évidence. « Quand j’étais jeune, on faisait les foins avec les boeufs, puis avec les chevaux et la faucheuse derrière. Plus tard, les tracteurs sont arrivés, toujours de plus en plus gros », ajoute-t-il, le sourire en coin.
Il se souvient avec émotion des mutations du monde agricole. « Ce qui a tout changé, c’est le remembrement.
Avant, on avait des petites parcelles de 10 à 15 ares. Je me souviens, j’allais à la faux avec le papa et mon frère, on était alignés les uns derrière les autres, c’était rien quand ça coupait bien ».
Pour Robert, la vie d’agriculteur aujourd’hui est bien différente. « Les agriculteurs ont bien meilleur temps avec les machines modernes et ils peuvent compter sur les prévisions météo. Quand ils annoncent quatre jours de beau, ils peuvent tout faire et presser du bon foin. Alors que nous, s’il faisait beau le matin, on écartait le foin sans savoir que le soir, y’ aurait un orage. On se dépêchait de le mettre en tas pour qu’il ne soit pas trop mouillé et on recommençait le lendemain matin. On faisait tout à la main : la faux, le petit râteau et la fourche. C’était du boulot ! »
Il évoque aussi la moisson. « On a commencé par faire les javelles à la main, puis il y a eu la lieuse et enfin, les moissonneuses-batteuses. Ça a été le meilleur des outils ! On pressait d’la petite botte, qu’on chargeait sur des voitures à pneus pour en faire d’énormes remorques, tout à la main, on travaillait dur, mais on aimait ça. Quand sonnait midi, on rentrait, le dîner était prêt. C’est les femmes qui en bavaient le plus. Il fallait traire, s’occuper des enfants, préparer les repas, faire la lessive, le jardin. Au fond, c’étaient les femmes les plus malheureuses ! ».
Aujourd’hui, ces souvenirs sont précieux, témoins d’un mode de vie simple, mais empreint de valeurs fortes et de respect pour la terre. Une vie où on ne s’arrêtait jamais de travailler, mais où, finalement, on prenait le temps de vivre.
Sophie GARNIER