Des bancs de l’école à Publicis
Les années de formation artistique aux Beaux-Arts de Besançon ont permise à Marcel Mille d’acquérir un certain nombre de techniques, mais avant tout de développer une précieuse qualité : le sens de l’exigence. Au côté de Jean Ricardon, un de ses professeurs, il apprend à « s’obliger ». De ces années, Marcel Mille n’a pu conserver que trois dessins. Le reste de sa production étudiante ayant péri dans le grand incendie de l’agence parisienne de Publicis en 1971.
Tout fraîchement sorti de l’école des Beaux-Arts, notre jeune illustrateur est engagé au sein d’un studio d’art graphique suisse, prestataire de service pour Renault. Quinze jours après son arrivée, l’agence de communication Publicis remporte le budget d’une importante campagne pour le constructeur automobile français : plusieurs illustrateurs se retrouvent transférés chez Publicis. Marcel Mille, qui fait parti du convoi, débute alors une longue et belle carrière au sein du groupe, aujourd’hui internationalement reconnu.
Dès 1959, dans une période de mouvance créatrice menée par Marc Pampuzac et Simone Guibert, Marcel fait ses premières armes en participant à la conception de grandes campagnes Renault. Son exigence conjuguée à une créativité débridée le propulse dès 1963 au poste de Directeur Artistique (DA) de Publicis Paris. La création d’une filiale en Belgique l’amène à s’installer pour deux ans à Bruxelles, avant de regagner définitivement le siège parisien. Marcel pose là les premiers jalons d’une longue traversée de trente années de création dans l’univers Renault, de la Floride au lancement du Scénic en passant par celui de la Mégane réalisé dans les jardins du Parc Güell à Barcelone.
1998 : retour aux sources
En 2002, à l’initiative du pianiste Jean-Pierre Cusenier, la première exposition bisontine des vaches de Mille au Théâtre Bacchus s’est étrangement prolongée, sur demande des responsables du lieu, afin de couvrir également un séminaire organisé par… les abattoirs de Besançon ! Cette confrontation fortuite parle d’elle-même : le travail de Marcel Mille ne se résume en rien à une simple représentation soignée de la race bovine, mais comporte une véritable dimension critique.
En 1998, après trente ans passés dans l’univers branché de la publicité, Marcel Mille revient s’installer dans sa Franche-Comté natale, auprès de sa famille. De son enfance partagée entre la crémerie familiale de la rue Battant et la ferme de ses oncles dans le premier plateau du Haut-Doubs, restent les souvenirs très prégnants de ses vacances… à garder les vaches. De « retour au bercail », la nécessité de créer l’amène à nouveau dans l’atelier. Alors qu’il reprend le dessin et entreprend un travail de création beaucoup plus personnel, la crise de la vache folle sévit et les rôtis de bœufs ont désertés les dîners entre amis. Quand un troupeau entier est abattu à Amancey, à quelques villages de chez lui, Marcel Mille réplique : « J’ai décidé de parler des vaches, de les dessiner mais avec une inquiétude derrière, l’inquiétude de la vie… mon inquiétude vis-à-vis de l’ESB ». Marcel s’autoproclame « porte-parole » de celles qu’il amenait paître et observait déjà avec curiosité, près de cinquante ans auparavant.Entre charme et dévoilement
A quelle sorte de peintre animalier le public a-t-il à faire ? Pourquoi avoir représenté ce fil de fer barbelé devant l’animal ? « J’aurais préféré sans, explique gentiment une dame lors de la visite d’une exposition. Je trouve que ça gâche un peu le tableau ». La cible est atteinte. Bien au-delà de l’émotion pastorale, Marcel Mille cherche à interpeller le public. Puisant dans trente ans de publicité, il attire dans ses filets le spectateur par des cadrages inattendus et des plans serrés. Il invite chacun à plonger son regard dans celui troublant de la vache, à observer son museau luisant jusqu’à s’attarder sur «la bouche parfois très sensuelle et les lèvres roses de certaines ». Nous sommes alors absorbés par la douceur apparente du pelage brun et blanc, si soigneusement retranscrit par la magie des craies grasses, quand Marcel Mille nous arrache à cette contemplation par un détail, par un signe. Que font ces gens dans le pré assis à lire un journal ? Pourquoi prendre comme support un panneau signalétique ? Pourquoi avoir peint autant d’animaux, amassés les uns sur les autres ?

Ce barbelé séparant l’espace de l’homme et celui de l’animal marque cette distance de sécurité indispensable au respect réciproque. Une séparation qui prémunit les uns de la folie des autres, une façon de répondre à la violence de l’abattage en masse ou aux seules exigences de la rentabilité de la production laitière. Vaches-pierres et Vaches interdites, Attention troupeau ou Vaches de tag, toutes les séries réalisées depuis 2000 par le peintre restent autant d’hymnes à la vache, déclinés sur fond de paysages locaux.

De nombreux projets se bousculent aujourd’hui dans l’atelier de Marcel Mille. Une nouvelle série sur le vêlage (qui sera présentée à la Biennale des Arts Plastiques en Octobre à Micropolis) voit le jour tandis que la collaboration avec l’auteur mélodiste Ange DEMOS porte ses fruits. Les mots et les sons d’Ange, percutants et légers, incisifs et poétiques, ont fait mouche auprès du peintre. Quant aux vaches de Marcel, elles paraissent pour Ange DEMOS si proches de l’humain : comme une force bienveillante de la nature, une mère nourricière. L’alchimie de cette rencontre amène les tableaux de Marcel à rentrer en dialogue avec les créations d’Ange. Ensemble, ils exposent actuellement « Vaches de Tags » à l’Espace Culturel de la Mairie de Gellin jusqu’au 18 mars. Une dernière série entre déjection et recyclage, entre salissures et essuyages de doigts, qui ne manquera pas, une fois de plus, de vous interpeller !

Laura Franco