Dans la famille Bulle, je demande le cousin ! Au village de Déservillers (25) ce nom est largement connu de tous. Portant lui-même ce patronyme, le directeur de notre radio locale et spéléologue y fait d’ailleurs son trou… ou son chemin.
Mais le clan compte aussi un artisan réputé qui restaure des pièces de monuments historiques. Nous l’avons rencontré en pleine démonstration auprès du public, au Centre diocésain de Besançon lors des Journées du Patrimoine 2013.
Les propriétaires des pièces qu’il répare l’avaient autorisé à sortir les ouvrages de leur contexte respectif. Labellisé Artisan du patrimoine, la spécialité de Philippe Bulle, maître-menuisier, est donc de restaurer toutes les menuiseries sur des édifices inscrits aux Monuments Nationaux. Cela représente 95 pour cent de son activité. Le bois est certes sa matière première, mais accessoirement, ce qui se conjugue avec ce matériau est également traité sur l’établi. Ainsi on trouve du verre, et toutes les ferrures « qui peuvent servir à articuler les menuiseries », explique l’artisan.
Aussi, Philippe n’hésite pas même à utiliser des feuilles d’or 23 caras. Elles sont là pour recouvrir certains bois, selon une technique empreinte à la période baroque. Il a acquis la méthode lors d’une formation récente auprès d’un doreur du château de Versailles. Le but en est de répondre aux demandes de restauration telles que les retables, dans nombre d’églises du XVIIIème siècle. Le travail de Philippe Bulle comprend des limites, « alors je fais appel à des collègues », précise-t-il. Les intervenants sont spécialisés dans le faux marbre, ou dans les décors muraux agrémentés de peinture à la chaux. De plus, dans la pratique de cette discipline, le menuisier doit savoir où commence et où finit la part de restauration.
Les Bulle sont artisans ébénistes de pères en fils depuis 200 ans. Il est fort probable que des oeuvres restaurées par Philippe aient été conçues par ses ancêtres !
Cela donne une saveur particulière à son métier. Il a cultivé sa passion au fil des années, se perfectionnant à travers des stages dans toute la France : « J’y ai appris l’historique du verre, la forge pour maîtriser le métal de restauration, et même la lecture de façades avec des architectes de monuments historiques ». Aujourd’hui, ses clients sont des églises ou cathédrales, châteaux, et hôtels particuliers. En effet, le bois y est très présent. On le décèle autant dans les structures que dans les décorations.
Philippe Bulle opère parfois sur les morceaux de parquet à compartiments, qui constituent le sol d’appartements de luxe. Le menuisier a étudié l’histoire de l’Art, « car je dois être sensibilisé à l’ouvrage qui m’est confié », estime-t-il. De fait, ses notions d’architecture sont également mises en valeur. Quoi que soit son champ d’action, en souci de préserver l’authenticité d’origine, « je travaille avec des techniques et un matériel d’époque », souligne-t-il. Cependant le métier évolue avec le temps. « On est obligés d’adapter nos méthodes pour les rendre ultra modernes », selon notre hôte. Lequel justifie l’avant-gardisme par les besoins d’un résultat de haute qualité. Il faut notamment réparer les dégâts causés par l’ennemi de la longévité ligneuse. L’insecte xylophage se nourrit sans scrupules, ignorant naturellement toute dimension artistique…
Dès lors, pour combler le manque, la matière est traitée avec des résines spéciales qui, au passage, la renforce. A son tour, Philippe Bulle est formateur ambulant. Malgré son accent éloquent, l’on ne s’aviserait pas à le qualifier de campagnard candide. Sous ses faux airs de personnage dessiné par Shigeru Miyamoto, l’homme peut se targuer d’aller former des techniciens du ministère de la Culture, entre autres. « Je leur enseigne les techniques qu’ils n’apprennent pas dans les écoles d’architecture », assure-t-il. En quelque sorte, Philippe est complémentaire aux établissements d’apprentissage, car il apporte « le côté pratique et expertise, qu’eux ne connaissent pas forcément ».
Frédéric DASSONVILLE
