Quels sont les enjeux de l’eau dans notre département ? Au total, dix interviews d’une dizaine de minutes chacune permettent d’en apprendre davantage sur l’état de notre eau et de nos rivières dans le Doubs :

 

 

Cyril Thévenet, directeur de l’EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue
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Jean-Pierre Hérold, biologiste et membre du collectif SOS Loue et rivières comtoises
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Vivien Rossi, chef du service territorial Doubs Ain Ognon à l’Agence de l’eau
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Jean-Michel Blondeau, membre du SAMU de l’Environnement
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Pascal Reilé, hydrogéologue et fondateur du cabinet privé Reilé, société d’études spécialisées dans l’Environnement
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Gilette Guidet, déléguée territoriale EDF Hydro Massifs de l’Est
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Cécile Pernin et Marie-Christine Robert, technicienne et première vice-présidente du syndicat intercommunal des eaux de Haute-Loue (SIEHL25)
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Louis Vallet, adjoint en charge de l’eau à Myon
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Angèle Prillard, vice-présidente de la Communauté de communes Loue Lison en charge du transfert de compétences eau et assainissement
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Le plan rivières karstiques en septembre 2022 s’étend sur cinq ans et vise à améliorer la qualité des eaux des rivières.
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Depuis le début des années 2010, les rivières comtoises, et notamment la Loue, connaissent une dégradation de la qualité de leurs eaux. De nombreuses mortalités piscicoles ont été relevées notamment à cette période mais également en mars dernier. « Malgré ce qui a été fait depuis de nombreuses années, on n’a pas réussi à restaurer la qualité des rivières que nous pouvions connaître il y a une quarantaine d’années », précise Patrick Vauterin, directeur départemental des territoires*.

La préfecture du Doubs a signé un plan rivières karstiques en septembre 2022. Ce plan s’étend sur cinq ans et vise à améliorer la qualité des eaux des rivières. « C’est mettre tous les partenaires qui agissent sur l’eau dans le département autour de la table pour coordonner les actions », explique Patrick Vauterin.

Il s’agit d’études sur la connaissance du karst, sur les débits de rivières affectées par le réchauffement climatique. L’objectif est de les utiliser pour réaliser des actions en aval. « Ce sont des actions sur des rejets. Toutes nos activités industrielles, personnelles ont un impact sur les milieux et donc il faut que les stations d’épuration derrière fonctionnent correctement. On a également une action régalienne sur les stations d’épuration des fromageries », détaille le directeur départemental des territoires.

On retrouve :

    Le plan fromagerie : sur 95 fromageries du Doubs, six avaient un impact environnemental en janvier 2023. Quatre se sont régularisées, mais quatre nouvelles ont été contrôlées avec des rejets non conformes.

    Le contrôle des stations d’épuration : sur les 310 urbaines, 162 ont fait l’objet de projets de modernisation. Les autorités préfectorales étaient focalisées sur 27 « step » en 2022. Parmi elles, cinq ont été mises en demeure d’engager des travaux.

    Le contrôle des épandages : 85 signalements pour atteintes environnementales avaient été émis en 2022. 89 contrôles ont été réalisés dans tout le département et 19 en zone vulnérable.

 

            Une situation complexe au niveau de la qualité

Aujourd’hui, Jean-Pierre Hérold, biologiste et membre du collectif SOS Loue et rivières comtoises est pessimiste quant à l’état de nos rivières. « Depuis cinquante ans que je fréquente les rivières, je constate leur dégradation. Il fut un temps, la Loue était la plus belle rivière d’Europe pour venir pêcher la truite et l’ombre. {…} Maintenant, la rivière est plutôt malade. Les populations de truites et d’ombres sont très faibles. À des endroits, certains poissons ont disparu », se désole le biologiste, ancien professeur à la Faculté de Sciences de Besançon. 

Au niveau de la qualité de l’eau de nos rivières départementales, la situation est assez complexe selon les cours deau concernés. Cest le cas de la Loue qui « connaît une dégradation lente depuis les années 60-70 liée aux activités humaines sur le bassin avec une population qui a quand même augmenté, avec aussi des pressions diverses, agricoles, industrielles, communales. Malgré des efforts assez conséquents faits par les différentes activités, on a quand même une situation qui a du mal à saméliorer », explique Cyril Thévenet, directeur de l’EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue, organisme en charge de la préservation de la ressource en eau et de sa qualité ainsi qu’à la prévention des inondations.

« Le dernier état des lieux officiel date de 2019 {…}. Sur les départements, une grande majorité des cours d’eau est classée en état moyen à médiocre. En bon état, nous avons le Dessoubre, mais c’est pour ainsi dire le seul parmi les principaux cours d’eau du secteur. Et encore, cette qualification peut être discutable au regard de certains paramètres biologiques », développe Vivien Rossi, chef du service territorial Doubs Ain Ognon à lAgence de leau.

De son côté, Jean-Michel Blondeau, membre du SAMU de l’Environnement, observe une augmentation du taux de nitrates. « C’est un très bon engrais et ça fait pousser des algues au fond de l’eau. Avant, une rivière très propre, c’était une rivière où il y avait des graviers, du sable, c’était plutôt beige clair. Aujourd’hui, les rivières sont foncées. Le problème de ces couleurs, c’est que ça emmagasine plus d’énergie solaire, ça réchauffe l’eau plus rapidement et surtout ça colmate les fonds et tous les petits insectes ont tendance à disparaître, alors qu’il s’agit de la nourriture principale des poissons », détaille-t-il.

 

            Des éléments extérieurs qui se rajoutent

Plusieurs phénomènes viennent accentuer la problématique. D’une part, le réseau karstique : « On est sur un sol calcaire qui est très poreux. Tout ce qui se passe en surface passe très vite à travers la roche et rejoint les cours d’eau sans filtration comme on peut avoir dans d’autres sols », souligne Cyril Thévenet.

D’autre part, le réchauffement climatique : « Il y a moins d’eau donc il y a une moindre capacité de dilution des rejets. Il entraîne également des effets qu’on ne voit pas tout de suite. Par exemple, pour une même quantité d’épandages, le fait d’avoir des étés très chauds,  l’azote n’est pas utilisé par les plantes et donc quand on a les reprises automnales de pluies fortes, tout cet azote est lessivé et repart directement à la rivière », poursuit le directeur de l’EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue.

« Quand l’eau atteint 25, 27, voire 28 degrés dans la basse vallée de la Loue par exemple ou dans le bas Lison, ça ne permet plus d’héberger certaines espèces », explique Jean-Pierre Hérold. « On a des valeurs de gaz carboniques qui augmentent {…}. Ça nous montre que même le milieu souterrain est touché », continue Pascal Reilé, fondateur du cabinet privé Reilé, qui réalise des études techniques et scientifiques, spécialisée dans l’Environnement, les sciences de la Terre, lhydraulique.

 

            Un temps peu modéré

Au niveau de la quantité, des périodes de sécheresse et de fortes crues senchainent. Pourtant, l’eau n’arrive pas à se réguler. « Comme on a un sol qui n’a pas de réserve, on n’a pas de grosse nappe souterraine qui pourrait faire tampon, on ne peut pas stocker l’eau naturellement », explique Cyril Thévenet. « Avec ce changement climatique, on va avoir le même volume d’eau à l’année mais on aura des épisodes beaucoup plus violents avec des grands volumes et des sécheresses beaucoup plus marquées », souligne Pascal Reilé.

Et cela a un impact sur les producteurs hydroélectriques. « On est une énergie qui s’adapte à l’hydrologie. Dans un ouvrage hydroélectrique comme celui de Mouthier Haute-Pierre, on turbine l’eau qui arrive. Quand la source de la Loue a moins de débit, on turbine moins voire pas. Quand il y a beaucoup d’eau, on turbine en priorité l’eau qui arrive. Si il y a plus d’eau que ce qu’on est capable de turbiner, on a des évacuateurs de crues qui nous permettent de laisser passer l’eau dans la rivière », explique Gilette Guidet, déléguée territoriale EDF Hydro Massifs de l’Est.

 

            Un enjeu au niveau de l’eau potable

Un autre enjeu de cette ressource s’observe au niveau du réseau d’eau potable. Selon l’UFC Que Choisir en juin 2023, 16,7% d’eau potable sont perdus dans le département du Doubs. « On regarde plus l’indice linéaire de perte qui représente le nombre de mètres cubes d’eau perdus par jour et par kilomètre. Aujourd’hui, on est aux alentours de 3m3 par jour et par kilomètre. On a des chercheurs de fuite. C’est difficile, ce sont souvent des petites fuites sur les branchements des particuliers donc qui sont difficiles à trouver », détaille Cécile Pernin, technicienne au syndicat intercommunal des eaux de la Haute-Loue (SIEHL25).

Certaines communes disposent de leurs propres sources en eau. C’est le cas de Myon. « L’eau vient par gravité directement au château d’eau et est redistribuée en gravité chez les habitants. On n’a pas besoin de pompes {…}. Comme on gère la ressource de A à Z, on n’a pas possibilité d’être approvisionnés sur un autre réseau », explique Louis Vallet, adjoint en charge de l’eau dans la commune. Disposer de sa propre source en eau permet aux habitants de la payer à un prix bas.

La loi NOTRe prévoit le transfert de la compétence eau et assainissement aux communautés de communes d’ici janvier 2026. « On va partir de la base actuelle payée dans chaque commune ou syndicat, et on va avoir des mécanismes de convergence tarifaire. On va définir avec l’ensemble des élus communautaires, la période de convergence tarifaire pour aboutir à un tarif unique sur la communauté de communes Loue Lison (CCLL). Au départ, il y en a qui seront en-dessous du prix moyen, des communes qui seront au-dessus, et on va converger pour que ce soit progressif pour les habitants », détaille Angèle Prillard, vice-présidente de la CCLL en charge du transfert de compétences eau et assainissement.

 

            Des travaux pour améliorer la situation

Plusieurs travaux sont menés par les différents acteurs pour traiter de la problématique de l’eau. On voit par exemple des restaurations de tourbières dans le Haut-Doubs et le Haut-Jura par l’EPAGE ; le financement de stations d’épuration et de travaux sur les réseaux d’assainissement par l’Agence de l’eau.

Il y a la désimperméabilisation et végétalisation des villes aussi. « La Ville de Besançon fait partie des précurseurs en France sur ces sujets. En faisant disparaître le bitume des endroits où ces surfaces ne sont pas indispensables, on favorise l’infiltration de l’eau. Ça permet de recharger les nappes d’eau souterraines », développe Vivien Rossi.

Des travaux sont encore envisagés au niveau des interconnexions pour sécuriser les communes alimentées par des petites sources, de l’amélioration du rendement des réseaux, de la récupération des eaux de pluie. Le SIEHL25 a plus de 60 millions d’euros à investir d’ici 15 ans pour maintenir le patrimoine en état. « Ça peut être du renouvellement de canalisations, des reprises de génie civil au niveau des réservoirs, des créations de nouveaux réservoirs, des modifications de pompages », énumère Cécile Pernin.

« La priorité, ça va être d’équilibrer les ressources en eau potable, faire des recherches associées aux grandes métropoles locales. On travaille sur Montbéliard, Besançon, Lons-le-Saunier, Gex, Morteau, Chaumont. Il faut véritablement qu’on leur amène des ressources pérennes dans des aquifères un peu plus profonds, saturés, et qui leur donnent un peu de facilité pour gérer des périodes dites de sécheresse », termine Pascal Reilé.

 

            L’eau, or bleu de demain ?

« L’eau est un produit essentiel qui va prendre de la valeur, ça c’est clair », affirme Cyril Thévenet. « Nous avons tous entendus parler ce qui s’était passé cette année dans l’Aude, avec une eau qui devient suffisamment rare pour impacter des activités économiques. Quand on en vient à impacter des activités économiques, on parle d’impact financier concret sur un territoire. Donc oui, l’eau devient l’or bleu. Si le Haut-Doubs venait à manquer d’eau, c’est tout son développement qui serait compromis. D’où la nécessité que tous les acteurs se mobilisent pour garantir une gestion équilibrée de la ressource en eau et une bonne adéquation entre les besoins et cette disponibilité de la ressource », conclut Vivien Rossi.

Chaque usager peut agir en pratiquant des gestes au quotidien : économiser l’eau, vérifier son compteur pour déceler les fuites, ou être vigilant sur les produits utilisés par exemple.

 

 Lors de l’interview réalisée le 27 juin 2023, Patrick Vauterin était directeur départemental des territoires à Besançon. Depuis juillet, il est directeur départemental des territoires et de la mer des Bouches-du-Rhône.

 

                                                                                                                                                                                                                                 Cassandra TEMPESTA