
Interview de Claude Jacquet
À travers des interviews disponibles en podcast, Villages FM donne la parole à celles et ceux qui racontent la vie d’autrefois, les métiers, les gestes et les savoir-faire qui faisaient battre le coeur de nos villages. Aujourd’hui, c’est Claude Jacquet, 73 ans, fromager, qui raconte son parcours et son attachement à un métier aussi exigeant que passionnant.
Claude Jacquet ne se destinait pas, au départ, à devenir fromager. « J’étais censé reprendre l’exploitation familiale. Mais pendant les vacances, j’aidais le fromager du village et j’y ai pris goût », confie-t-il. À 17 ans, il est embauché et apprend « sur le tas », sans passer par l’école de laiterie. Ce choix marquera toute sa vie : il exercera son métier durant quarante-deux ans, avec constance et fierté, principalement à Éternoz et à Doucier.
Le quotidien du fromager comtois, dans ces années-là, était un travail de patience et de rigueur. Réceptionner le lait, le transformer en Comté, fabriquer du beurre, frotter les fromages en cave… Des gestes répétés chaque jour, sans repos, « 365 jours par an », comme il le rappelle. Le métier ne laissait guère de répit, mais portait en lui une noblesse particulière : celle de transformer le lait en un produit d’exception.
Au fil de sa carrière, Claude a vu les techniques évoluer. Dans les années 60, le chauffage des cuves se faisait encore avec un foyer roulant ou des cuves à potence. Peu à peu, elles furent remplacées par des cuves chauffées à la vapeur, grâce à une chaudière d’abord alimentée au bois, puis au charbon, enfin au mazout. Le caillé était enlevé de la cuve avec une toile et un palan, avant d’être mis en moules en bois. « Dans les années 70, on a vu arriver les premiers soutirages du grain et les pompes à caillé, ainsi que les moules en inox ou en fibre de verre. Les cuves ont grandi aussi : on est passé de 1 000 litres pour deux fromages à 6 000 litres, ce qui permettait de fabriquer 12 meules d’environ 40 kilos », raconte-t-il avec précision.
L’arrivée des années 2000 a marqué un tournant décisif : restructurations, normes sanitaires plus strictes, hausse du prix des matières premières et surtout, le manque de main-d’oeuvre. Beaucoup de petites fromageries de village ont fermé ou se sont regroupées. « Aujourd’hui, il reste seulement quelques structures modernes, entièrement automatisées. Mais on ne peut pas aller contre le progrès », admet Claude avec pragmatisme.
Au-delà de la technique, il insiste sur la dimension humaine du métier. Pendant quatre décennies, il a travaillé aux côtés de son épouse, Yvonne, qui assurait le nettoyage, la coulée et la vente des produits. « C’était un vrai travail d’équipe, et je lui dois beaucoup », souligne t- il avec émotion. Ensemble, ils ont partagé les difficultés, mais aussi les joies, comme ces trois médailles glanées à Paris, au Salon de l’Agriculture : deux en or et une en argent, « une vraie fierté, la reconnaissance du travail ».
Aujourd’hui, Claude transmet un message simple aux jeunes générations : « N’ayez pas peur, c’est un beau métier. Le progrès facilite la tâche, mais les méthodes restent naturelles, sans produits chimiques. On travaille toujours avec les mêmes gestes ancestraux. »
Par son témoignage simple et précieux, c’est toute une époque qui renaît : celle d’un artisanat exigeant, profondément ancré dans nos villages et nourrissant notre mémoire collective.
Texte : Sophie Garnier / Prise de son : Edgar MOREL
C’est l’heure du chalet
C’est l’heure du chalet ! C’était la coulée, chacun arrivait à son rythme pour déverser, à son tour, le fruit de la traite. Tous guettaient l’aiguille du pèse-lait, confirmant, ou non, la récompense de leur labeur, avant de voir le flot blanc s’écouler dans la grande cuve. Le fromager, bottes aux pieds et tablier blanc, notait soigneusement la pesée dans son cahier, répétant ses gestes précis. Ce rendez-vous quotidien n’était pas qu’une formalité : il rythmait les journées et offrait l’occasion de discuter et de prendre des nouvelles. L’odeur du lait chaud et de la vapeur emplissait la fromagerie, tandis que le bruit du jet d’eau résonnait sur le carrelage usé. Les habitants, quant à eux défilaient avec leur pot à lait métallique, puis repartaient avec deux livres de beurre, un morceau de Comté et parfois un bout de rognure fraîchement coupée, qu’ils dévoraient sur le chemin du retour. Une scène simple, presque banale, mais gravée dans la mémoire de tous ceux qui l’ont vécue.



