La région et, particulièrement les départements du Doubs et du Jura, sont renommés pour leurs savants : Fourier, Pasteur, Proudhon, Courbet, Cuvier. Si ces personnages ont laissé une trace ineffaçable dans l’Histoire, il faudrait ajouter une autre star qui porte le nom de la région sur les autres continents : le Comté. Apprécié et reconnu, il se confond avec nos territoires, comme le Champagne. Mais sa notoriété pourrait être bien plus fragile qu’on le pense. Il suffit de voir comment l’esprit coopératif se dilue, Déservillers en a payé le prix avec le déménagement de son atelier de fabrication.
Préserver son identité
Le Comté est devenu en plus de sept siècles l’emblème de toute une montagne. Pour les touristes, c’est d’ailleurs le point de repère. Mais il souffre d’une crise existentielle importante. Malgré son fort potentiel, la filière pourrait bien être menacée. Et les risques ne sont pas seulement liés au modèle coopératif (la première fruitière datant de 1273 à Déservillers). En effet, ils portent sur les pratiques agricoles qui ont évolué et dégradent l’environnement de la région. En cas de non-respect « il va falloir utiliser la loi pour contraindre les producteurs à se rendre compte que ce n’est pas en polluant les sols et les rivières qu’ils vont garantir la pérennité de leurs outils » s’offusque Gilles Fumey, professeur de géographie de l’alimentation à la Sorbonne et, par ailleurs, originaire de Déservillers.
L’autre péril qui guette la filière Comté est d’ordre économique, c’est son succès. « Le problème le plus important, ce sont ces agriculteurs qui se rémunèrent sans dépendre des subventions publiques. On ne peut que les en féliciter, mais ce modèle pourrait
porter, ce qu’on appelle en économie « resource curse », la malédiction des ressources devenant des richesses. L’argent abondant pousse à la mécanisation, la mécanisation à l’endettement, l’endettement à l’accroissement des exploitations. Un cercle loin d’être vertueux sur le long terme. Ce qui apparaissait comme un avantage comparatif peut conduire au déclin » poursuit le chercheur. D’où le débat explosif sur les robots de traite traité par la justice et non par les coopératives dont l’esprit communautaire s’affaiblit. D’un point de vue microbiologique, c’est la même pente : « Grâce aux travaux de Pasteur, on a découvert les communautés microbiennes. Et aujourd’hui, elles sont mises à mal par les polluants qui mettent en péril, à moyen terme, la saveur du fromage » s’alarme-t-il. En effet, toutes ces causes n’auront pas pour conséquence la quantité du produit mais sa qualité : « Les fromagers et les affineurs ne peuvent pas garantir que dans quelques décennies avec le lait qu’on leur fournira ils feront d’aussi bons fromages ». Le cahier des charges de la filière veille à ces questions, mais la pression est forte pour lâcher du lest chez certains agriculteurs travaillant en collectivité, sur des terrains de plus en plus éloignés des ateliers de fabrication. La solution ? Limiter la taille des exploitations et les rendements, comme cela a été accepté dans l’interprofession du Champagne.
Une histoire de palais
Et le goût du fromage ? Certains le préfèrent doux, d’autres avec des cristaux de sel, mais tous s’accordent sur sa saveur. Un délice qui séduit les nations fromagères de l’hémisphère nord, de l’Angleterre au Japon et aux Etats-Unis. Doté d’une très bonne cote et exporté à plus de 4.600 tonnes en 2015, le Comté est vu comme l’un des principaux fromages français, dépassant ainsi le camembert et ses concurrents. Il s’exporte bien mais il n’en reste pas moins un produit de luxe, dû notamment à une exportation faible dans certains pays. Et ce n’est pas le seul problème, certains pays ne peuvent pas forcément le découvrir de la même manière. Selon Richard C. Delerins et Gilles Fumey, les Suédois et les Anglais ne parviennent pas à en apprécier toute la saveur. « Quand on a l’habitude de manger sucré, d’utiliser le cheddar partout dans la cuisine ou de boire de la bière, ce n’est pas facile d’apprécier le Comté ». Au Moyen-Orient, le Comté n’est servi que dans des hôtels européens (le fromage n’étant pas halal). Résultat « Il faut avoir un terrain sensoriel, un palais qui prédispose à percevoir la finesse du fromage ». Une prédisposition que les Russes ont ! Mais depuis deux ans et demi, un embargo européen bloque les exportations. Comme le poulet de Bresse, le Comté est lui aussi touché. Heureusement, les Américains en sont friands ! Le Comté, géopolitique ? Qui l’eût cru ?
Maxence CUENOT
Leur nouveau livre
L’Alimentation Demain – Cultures et Médiations (CNRS-Editions) est le nouvel ouvrage réalisé par le groupe de chercheurs sous la direction de Gilles Fumey. « Que va-t-on manger demain ? ». Véritable casse-tête ! Pas d’affolement toutefois, ce n’est pas la fin de la viande, mais plutôt celle de sa production industrielle. Les scandales sanitaires, OGM ou avaries dans la distribution et la restauration, ont faussé l’image que l’on se fait de la nourriture. C’est dans l’optique de réconcilier les consommateurs et de leur proposer des solutions que livre a été conçu. Parmi ces réponses, les produits régionaux, la gastronomie identitaire et les nouvelles entreprises de livraisons à domicile représenteraient la nouvelle alternative.
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