Pour Mathieu Pigasse, président de Territoire de Musique, qui régit le festival belfortain, « Ce qui fait le succès des Eurockéennes tient sur les fondements de leur identité ». Ces derniers constituent un moment de communion indéniable entre différents milieux sociaux et géographiques. En témoignent les minutes de jump impulsées notamment par les membres foutraques de Salut C’est Cool, d’Interpol, de quelques sulfureux musiciens metal… L’engouement est dynamiser par le brassage des groupes où une simultanéité déploie la foule. Un groupe effectuant sa prestation en même temps qu’un autre de style différent joue sur la scène voisine semble demeurer un atout. Cette année la programmation s’est voulue plutôt tranchée. Sa confection a désormais reposé sur les seules épaules de Kem Lalot, mais ce dernier revendique la consultation. Sur une base éclectique, le programmateur a effectué des recherches approfondies dans les styles qu’il maîtrise moins, comme le hip hop. Ce courant a été bien représenté aux Eurockéennes 2019. « J’ai écouté beaucoup de choses, vu beaucoup de concerts, pris pas mal de renseignements chez des amis spécialisés », nous explique-t-il. Et de poursuivre que « cela m’a permis de rebondir sur des artistes hip hop de maintenat ». Le plaçage de créneaux et sur telle ou telle scène n’est pas si simple. Certains fans regretteront que le rappeur Ninho n’ait été proposé sur la Grande scène ou, plus encore, que The Smashing Pumpkins, pour leur unique date française de la tournée, se retrouvent à jouer le dimanche soir à minuit.
La communion dont parlait Mathieu Pigasse en conférence de presse passait par des instants qu’il juge « uniques », où des artistes ont invité des gens du public à les rejoindre sur scène. Ce fût le cas de Frank Carter. Il a partagé une chanson avec son guest anonyme. Alpha Blondy a, pour sa part, proposé un peu de la scène à une personne en fauteuil roulant. Et le chantre du reggae ivoirien d’illustrer l’état d’esprit d’unité à travers un concert mêlant puissance vocale, inédite chez lui, et une sorte de force spirituelle motivée par le propos.
Parmi les contraintes, l’augmentation des cachets demandés par les artistes. La surenchère tient au déplacement des intérêts musicaux, étiolés dans les supports d’écoute industriels au bénéfice du live. Lors d’une conférence de presse donnée deux heures après leur prestation sur la Grande scène des Eurockéennes ce 6 juillet, les Mass Hystéria ont mis les pieds dans le plat assurant sans détours que les radios mainstream diffusent rarement des titres de leur groupe (ou alors dans des émissions spécialisées, ndlr). Le mode concert ouvre un espace de liberté dont les Eurockéennes renforcent un aspect récréatif. Les festivaliers auront pu se laisser emporter sur de succulents solos de guitare qui tendent à revenir en force dans les concerts noisey. De l’inusable slash aux invétérés Stray Cats en passant par Underground System de façon plus surprenante, et même parfois chez Alpha Blondy, les glissades de doigts ont fait preuve de cette expression libre. Il s’agit d’une marge de manœuvre que ne lâchent plus les studios d’enregistrement, à cause du modèle économique de l’industrie du disque.
Le public des Eurockéennes rajeunit. À l’occasion d’une conversation échappée, l’on pouvait capter des propos symptomatiques : « Quand on aura cinquante ans et que nos enfants iront aux Eurocks, on pourra leur raconter nos années ici », projetait une jeune femme enthousiasmée par l’événement à sa binôme.
Fred D Rico




