Matricule A-5540, Jacqueline Teyssier raconte l’enfer dans le plus grand camp de la mort, le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau : je faisais 28 kg et j’avais le typhus.
Émission d’une durée d’1h40.
« Pendant l’occupation, nous étions traqués comme des bêtes. Nous étions obligés de toujours faire attention à tous nos faits et gestes. Nous savions qu’il y avait des rafles et c’était en zone occupée que les juifs étaient les plus traqués. Il fallait porter l’étoile jaune, avoir sa carte d’identité avec le tampon rouge « JUIF » et nous avions beaucoup d’interdits comme si nous étions des pestiférés.
Le 8 mai 1944, j’ai été dénoncée par lettre anonyme parce que je fabriquais des fausses cartes d’alimentation. La milice de Pétain, donc des Français, est venue me chercher. Je suis restée à la Préfecture de police pendant plusieurs jours, puis je suis partie en fourgon pour Drancy, en banlieue parisienne, où nous sommes restés quelques temps en transit.
Un jour, on nous a fait monter dans des wagons à bestiaux à la gare de Bobigny, on a eu la peur de notre vie, on ne savait pas où on allait. Je sais qu’on était 1200 dans mon transport, malheureusement que 2% sont revenus. Lorsque je suis arrivée au camp de Auschwitz-Birkenau en Pologne, il a fallu laisser toutes nos affaires dans le wagon. C’est là où on a vu pour la première fois les détenus des camps tous maigres qui travaillaient. Ils nous ont dit tout doucement «si vos enfants ont moins de 16 ans ne le dites pas, dites qu’ils ont 16 ans…». Nous avons donc été sélectionnés : les personnes qui pouvaient travailler étaient dans un coin. Les vieillards, les enfants, les handicapés sont partis dans des camions,… nous ne les avons jamais revus.
Après, avoir été dépouillé de nos affaires, rasé, puis lavé, on nous a tatoué un matricule sur le bras gauche. Nous étions logés dans des baraques où il y avait des lits à trois étages et nous étions quatre par lit. Dans la journée lorsque nous travaillons, on voyait des fumées qui s’échappaient des bâtiments. Nous pensions que c’était pour chauffer les locaux mais très vite nous avons compris que c’était des fours crématoires. On faisait croire aux femmes âgées et aux enfants qu’ils allaient prendre une douche, ils étaient gazés, sous le regard des sentinelles…
Ensuite, des détenus qui étaient appelés des «Sonderkommandos » avaient comme ordre de laver les cadavres au jet parce qu’ils étaient sales. À l’aide de pinces, ils enlevaient les bijoux, les dents en or puis les transportaient au four crématoire et c’était le travail quotidien des déportés. En octobre je suis tombée malade, et j‘ai été conduite à l’hôpital, je savais bien ce qu’on faisait aux malades. C’était le Dr Josef Mengele le médecin qui faisait la sélection. Arrivée mon tour, l’infirmière qui était une déportée a dit que j’avais juste une bronchite, elle m’a sauvé la vie. Mon travail était dur, je devais piocher à – 20° dehors, nous étions gardés par des sentinelles qui nous battaient parce que l’on n’avançait pas assez vite. En janvier 1945, nous avons été transportés en Allemagne à Bergen-Belsen car la libération approchait. Quand nous sommes arrivés, il y avait tellement de monde, que nous étions logés dans des couloirs sur la terre battue, sans paille, sans rien. Nous avions le droit de sortir juste pour nos besoins, alors bien sûr des épidémies de typhus se sont développées, de dysenterie…
Dans mon bâtiment, lorsque les femmes mourraient, on les déshabillait et on remettait leurs vêtements… Nous entassions les cadavres au fond du couloir et c’est seulement lorsque les sentinelles le voulaient bien que nous pouvions emmener les cadavres dans les fosses, il n’y avait pas de fours là-bas. Un dimanche, le 15 avril 1945, les américains sont venus nous libérer. Ils nous ont dit «votre baraque est dans un tel état de putréfaction que nous ne pouvons pas entrer ce soir» .
Le lendemain, nous avons eu du lait, du pain, du chocolat… Le 7 juin, après 2 mois de convalescence dans un hôpital, des militaires français m’ont rapatriée à Paris en avion sanitaire… je faisais 28 kg et j’avais le typhus.»
Aujourd’hui, Jacqueline Teyssier va bientôt fêter ses 90 ans, elle vit à Roche-lez-Beaupré, elle se rend régulièrement dans les écoles pour interpeller les générations suivantes, leurs ouvrir les yeux sur l’extermination des 6 millions de Juifs en Europe durant la Seconde Guerre mondiale et délivrer des messages de tolérance et de paix.
Propos recueillis par Sophie GARNIER
Jacqueline TEYSSIER est décédée le 20 mars 2022, à l’âge de 98 ans à Roche-lez-Beaupré.